Amis budokas, bonjour.
C’est avec plaisir que je rédige une fois de plus cette nouvelle réflexion martiale qui me permettra de vous livrer une vision personnelle sur des questionnements relatifs à la notion de « style » dans les arts martiaux. Une fois de plus j’insiste, il ne s’agit pas de vérités absolues mais plutôt des convictions personnelles que je porte et que je souhaite partager tout simplement avec vous. Bonne lecture à tous.
Vous avez dit style !?
Lorsque l’on souhaite s’inscrire pour la première fois dans un club, il est effectivement assez rare que l’on se préoccupe du style enseigné. A vrai dire, on choisit généralement un club qui se trouve à proximité de chez soi et nous nous laissons porter par l’enseignement sans trop se poser de questions. On vient pratiquer le karaté, tout simplement. Lorsque l’on est novice en la matière, ce genre de fonctionnement me semble donc plutôt logique et cohérent. Nous ne demandons en réalité qu’une seule chose : apprendre les arts martiaux. A ce stade nous ne saurons pas encore en capacité de juger pertinemment le style de karaté se présentant à nous : notre référentiel de connaissance et de pratique nécessitera d’être plus avancé pour cela.
En revanche lorsque notre intérêt pour les styles commence à s’éveiller, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une jungle impressionnante : shotokan, wado ryu, goju ryu, shito ryu, kyokushinkai, etc… Autant de styles réunis autour d’une même famille : le karaté. Il est d’ailleurs assez surprenant de se rendre compte à quel point au sein d’un même style il peut aussi y avoir des sensibilités différentes, voir même des différences considérables…C’est notamment le cas en shotokai. Je serai presque tenté de dire qu’il y a autant de styles shotokai que de professeurs l’enseignant… C’est dire à quel point il est difficile de s’y retrouver.
Meilleur style ? Qui a raison ? Quoi choisir ?
La première question qui vient souvent à l’esprit face à tous ces styles lorsque l’on débute est la suivante : quel est le « meilleur style » ?
Cette question est en fait limitante et en appelle une deuxième : « meilleur style » pour quoi faire ?
Si l’objectif est de casser des briques, le shotokai n’est pas à l’honneur…
S’il s’agit de faire de la compétition, le shotokai une fois de plus n’est pas à l’honneur…
En réalité, le meilleur style est celui qui fait écho à vos objectifs personnels. Si votre objectif est de chercher la souplesse du corps, certains styles sont alors plus adaptés que d’autres. Si votre objectif est de savoir vous défendre alors en revanche il faudra davantage orienter la question car tous les styles d’arts martiaux répondent majoritairement à cet objectif : êtes-vous alors plus attirés par les saisies, les percussions, les projections, le contact, etc… ? Car en effet, même si certains styles abordent tout cela, il y a bien souvent des dominantes par style (sans parler du fait que le sensei peut aussi avoir ses préférences sur le choix des éléments enseignés, mais là n’est pas le débat…).
Il faut donc savoir quels sont vos objectifs personnels pour trouver la réponse à cette question. En d’autres termes, il n’y a donc pas de « meilleur style », il y a plutôt des « meilleurs choix » en fonction de vos objectifs et de votre propre personnalité.
La prolifération de styles
Ce qui est intéressant est aussi de s’interroger sur la cause d’une telle prolifération de styles et leurs particularités ? Pourquoi certains karatéka travaillent-ils sur la base de posture haute ? Pourquoi d’autres privilégient-ils des postures basses ? Pourquoi certains favorisent-ils au contraire plus le travail des mains ouvertes quand d’autres insistent sur le travail des poings serrés ? Pourquoi certains styles ont-ils des katas spécifiques non répertoriés ailleurs ? Cherchons nous finalement la même chose ?
Au commencement il est important de comprendre que les arts martiaux puisent leurs racines dans une source commune : le bubishi (considéré à ce jour comme la source ancienne originelle des techniques martiales du karaté, l’un des ouvrages possiblement fondateur du karate-do). De l’Inde, les arts martiaux sont passés par la Chine notamment par le célèbre temple de Shaolin (on connait le nom du mythique moine Bodhidharma qui aurait œuvré à la notoriété de ce temple) et ont poursuivis leur voyage vers Okinawa et le Japon.
A mon sens la prolifération des styles est une conséquence de trois phénomènes cumulables :
- Cause 1 : la topographie du lieu de vie du pratiquant et l’observation de la nature
On lit souvent que certains styles anciens ont été créés et adaptés en fonction du lieu de vie des pratiquants. Certains vivaient proches des rizières et des cours d’eau et passaient la majorité de leur temps les pieds dans l’eau ou sur des barques ce qui privilégiait alors le développement des membres supérieurs au quotidien. D’autres vivaient dans les plaines et les montagnes où la marche était plus courante favorisant donc le développement des jambes dans la pratique. Cette scission topographique, cumulée à une appropriation de mouvements inspirés d’une faune riche et variée, a pu donner naissance à la création de styles différents. Cette théorie simpliste peut être un point de départ expliquant les différences de styles anciens connus notamment entre les boxes chinoises du nord et du sud (qui ont progressivement données naissance aux styles de karaté que nous connaissons actuellement).
- Cause 2 : l’interprétation personnelle du pratiquant
Certains pratiquants ont très certainement réinventés leur pratique sur la base de ce qu’ils en avaient compris à l’époque où ils étaient élèves. Mais qu’en avait-il compris ? Dans ce cas de figure, le style devient alors une traduction personnelle d’un enseignement reçu. Une pratique susceptible de devenir une vision déformée ou réductrice par rapport au message d’origine transmis.
En appliquant cette logique sur plusieurs années, on comprend en fait que le phénomène a pu s’accélérer avec le temps, provoquant la naissance de variantes techniques en tout genre et faisant émerger la création de quantités de styles différents. A ce stade de la réflexion, deux possibilités distinctes apparaissent :
- soit le style créé comble des lacunes,
- soit le style créé engendre des lacunes (souvent involontaires).
Dans le premier cas, les conséquences sont positives car elles œuvrent généralement dans le développement des arts martiaux.
Dans le second cas, les conséquences sont désastreuses et mènent tout droit vers des impasses techniques et des escroqueries. En créant un style ainsi, nous créons de la nouveauté, mais créons nous de la pertinence ? A mon sens, on noie en fait encore un peu plus le message d’origine et les principes sous-jacents à l’art martial. Mais le pire dans tout cela est que le pratiquant débutant n’y verra que du feu et sera trompé. Il perdra indéniablement son temps et s’en rendra compte bien trop tard.
- Cause 3 : le business
Le karaté est une discipline qui s’inscrit dans le budo mais qui semble perdre peu à peu son caractère intrinsèque au fil du temps. On ne va pas se mentir, les arts martiaux sont devenus eux aussi un levier d’action permettant de générer une forme de business. Ainsi le karaté est devenu aussi un sport, du spectacle et les techniques martiales sont devenues progressivement des techniques répondant à un cadre sportif s’éloignant donc des origines même de ce pourquoi l’art martial avait été créé au départ. Il s’agit d’une vision moderne du karaté avec ses avantages et ses inconvénients.
Les dangers potentiels du temps…
Un style est donc souvent amené à évoluer au fil du temps mais se retrouve du coup exposé au risque d’être peu à peu déformé de son sens originel. Personnellement je pense que le style shotokai a pu en faire les frais. Il y a eu je pense, des erreurs d’interprétation sur les messages laissés par maître Egami. Les connaisseurs savent que le style shotokai est réputé pour ses postures basses et ses techniques réalisées en souplesse. Mais que faut-il comprendre derrière cela ? Il ne s’agit clairement pas de pratiquer “mou” ou “sans kime”, et encore moins de traumatiser son corps en se déplaçant à raz le sol. Je doute que Maître Egami souhaitait laisser de tels messages aux pratiquants. A quoi pensait-il lorsqu’il évoquait l’idée de gagner en efficacité à travers le relâchement ? La réponse me semble se trouver dans l’étude de la transversalité des arts martiaux : qu’est ce qui relie au final tous les styles d’arts martiaux ?
Chercher la transversalité à travers les styles pour trouver des réponses et revenir aux sources
Ce qui me parait le plus important avant d’observer d’abord les autres styles, c’est avant tout de s’interroger déjà sur son propre style et de le travailler avec régularité et intelligence. Que faut il comprendre derrière les mouvements appartenant à mon style ? Pourquoi ces mouvements sont ils réalisés de cette manière et qu’en déduire ? Quels avantages, quels inconvénients ? Il ne s’agit pas de répéter seulement des mouvements. Il faut chercher bien plus.
Suite à cela, il devient effectivement fondamental d’aborder les autres styles comme des opportunités permettant d’enrichir progressivement son propre style et essayer de mieux le comprendre. Ne pas rejeter ce que font les autres styles mais chercher au contraire à les analyser et à les adapter à sa vision personnelle du karaté. Je suis convaincu que le style n’est en fait qu’une porte d’entrée possible dans le monde des arts martiaux, une porte d’entrée qui doit permettre d’accéder à la maîtrise de quelque chose de commun à tous les arts martiaux (notion de transversalité). L’importance de la pratique n’est donc pas de cultiver les différences de son propre style, ni même d’apprendre des milliers de techniques mais plutôt de découvrir le mystère du mouvement universel à partir duquel il deviendra alors possible de se libérer de la forme, de briser les chaînes qui nous enferment dans un style précis.
Le style martial pratiqué doit ouvrir la conscience du pratiquant sur ce qui est invisible en apparence mais concret, car là se cache l’essence des choses. Seulement au prix d’une telle recherche nous pouvons, je crois, espérer retrouver une certaine authenticité dans la voie des arts martiaux. Sans cela, les arts martiaux ont ils encore un sens ? Personnellement, je pense que non et que nous nous exposons au risque de dénaturer un art noble en une pratique réduite à singer des mouvements fades et inefficaces.
Les arts martiaux sont bien plus que cela.
Ne laissons pas le temps usurper et effacer des trésors millénaires. Cherchons au contraire à les identifier, à les cultiver et surtout à les préserver pour les offrir à notre tour aux générations présentes et futures, puissent-ils en comprendre l’essence.
En conclusion, faire de notre style, un outil de transmission lisible et éternel pour que jamais ne meurent les trésors martiaux.
A bientôt.
Alexandre.