Travail de l’intention (Yi) : secret de la force globale ?

Yi : intention

Acquérir la maîtrise dans les arts martiaux, est un long chemin fait de questionnements et de remise en cause permanente. En karaté acquérir la maîtrise n’est pas fonction du temps passé à s’entraîner mais plutôt de la qualité de l’entrainement. Il me semble impératif de privilégier le qualitatif au quantitatif, ce dernier pouvant user le corps à court, moyen ou long terme.

Que signifie travailler avec qualité ? Comment savoir si l’on est sur la bonne voie pour acquérir la maîtrise ?

A mon sens travailler avec qualité exige au moins trois choses :

  • Mettre rigueur et discipline dans sa pratique,
  • Eviter les blessures. On ne le dit jamais assez mais la pratique du karaté do est d’abord faite pour la santé alors n’est ce pas un non sens de se blesser en pratiquant ?
  • Développer une conscientisation fine de l’état du corps par l’intention (Yi dans les arts martiaux chinois). Attention j’insiste, la conscience seule ne suffit pas. Il faut obligatoirement mettre en œuvre le travail fin et subtil du Yi pour faire de votre pratique, une pratique de qualité.

C’est sur ce dernier point que je souhaite développer cette réflexion martiale aujourd’hui. Maîtriser son corps, puisqu’il est avant tout question de cela dans les arts martiaux, exige une introspection fine de son mouvement corporel sur un plan interne (domaine du non visible).

Prenons cinq  exemples et comparons les pour mieux comprendre. Je vous propose une comparaison sur  la base d’une technique d’attaque en nukite (attaque piquée de la main avec le bout des doigts) réalisée en kiba dachi (posture du cavalier de fer). Je précise que les exemples suivants sont des schémas de principe que j’ai produit et volontairement simplifiés pour la compréhension. J’ai conscience qu’ils  exigeraient de plus amples précisions pour être complet. Mais commençons simple et global sur un plan théorique. Les cours pratiques compléteront le reste.

Ci-après la technique proposée pour la réflexion martiale de ce jour (je choisis volontairement nukite uchi et non haishu uke car cela sera plus simple pour cet exemple) :

Ci-après les 5 exemples proposés classés par niveau d’expertise croissante.

NIVEAU 0 : J’apprends le mouvement dans sa forme visible, je veux juste avoir une forme propre en apparence. Pas de Yi martial car je ne sais même pas de quoi il s’agit.

  • Conséquences : Chaos structurel, corps excessivement contracté (ou inversement trop mou) impliquant une difficulté à tenir la posture trop longtemps. Le corps se fatigue vite et le mouvement est en réalité fragile.

  • Explications : ici le pratiquant débutant a une conscience très faible voir quasi inexistante de son état corporel lors de l’exécution du mouvement. Il ne se préoccupe que de la forme visuelle du mouvement car en réalité il n’a pas encore conscience qu’un autre travail plus fin et subtil existe. Son intention se résume donc à tendre le bras et à lutter pour maintenir sa posture. Le mouvement visuel reste la seule référence sur laquelle s’appuie le débutant pour savoir s’il fait bien ou non. Il a alors tendance à se fier à sa vue et se focalise sur les extrémités de la technique: ici sa main droite. Son corps est alors martialement “vide” : il n’est pas rempli de force subtile (force interne). En revanche son corps est chargé de contractions inutiles et chaotiques souvent accentuées dans les épaules et les cuisses (quadriceps). Des tensions inutiles peuvent aussi être présentes dans tout le reste du corps (cela dépend en fait de comment le pratiquant utilise son corps au quotidien). A ce niveau c’est comme si le corps était constitué de plein de blocs de pierre indépendants, non communicants. Le ki circule mal et des lésions peuvent apparaître à long terme. A ce niveau le pratiquant n’a bien souvent pas conscience de sa raideur excessive.

NIVEAU 1 : Je cherche à mettre de la force dans mon bras mais le Yi généré est mal orienté car en fait je n’ai même pas conscience de comment me servir précisément du Yi.

Conséquences : Chaos structurel persistant, corps excessivement contracté avec une force prisonnière dans le haut du corps témoignant d’un Yi maladroit du pratiquant.

Explications : ici le pratiquant est un peu moins débutant (car connaissant déjà le mouvement dans sa forme apparente) commence à prendre conscience que son corps est beaucoup trop tendu (ou inversement trop mou). Cela dit, il ne sait pas ce qu’est le travail du Yi et interprète donc maladroitement ce que signifie mettre de la force  dans le mouvement. Le pratiquant à ce stade comprend donc qu’il doit gainer et contracter son corps au plus proche de la zone de contact qui va toucher l’adversaire. Ainsi il accentue la force brute dans le haut du corps (épaules, bras) et oublie en conséquence le bas de son corps : il perd la conscience des jambes et les appuis deviennent “flottants”. Sa structure corporelle est ainsi fragilisée et bancale. La force est déportée vers le haut du corps et s’avère être non globale. Ce niveau est légèrement mieux que le premier dans le sens où le pratiquant tente d’orienter son Yi, certes très maladroitement mais il y a les prémices de quelque chose. Une première intention est donnée au mouvement : celle d’envoyer la force dans le bras et la main.

NIVEAU 2 :  je souhaite davantage m’enraciner car j’ai désormais compris l’importance des appuis, je décide donc d’abaisser mon centre de gravité. Le Yi est existant mais toujours mal guidé car je n’ai toujours pas conscience de comment me servir précisément du Yi. Mais je cherche à optimiser comme je peux…

Conséquences : chaos structurel persistant, corps excessivement contracté avec une force cette fois-ci prisonnière dans le bas du corps à cause des tensions excessives générées par l’affaissement de la posture (causé par le léger abaissement du centre de gravité).

Explications : à ce niveau le pratiquant comprend qu’il n’attache pas assez d’importance au travail du bas du corps. Il va donc accentuer la force dans les jambes en pliant davantage les genoux. Sans savoir comment utiliser concrètement le Yi, une force brute est alors toujours mal répartie et déportée cette fois-ci à l’excès dans la bas du corps. Erreur une fois de plus maladroite ! La force est diffuse et s’avère être toujours non globale. Cette segmentation de la force ne permet pas d’équilibrer pleinement le corps et “étouffe” le transfert de force devant être conduit du sol jusqu’à la main pour cet exemple. Sans un travail du Yi bien orienté, il sera extrêmement difficile de progresser et d’aller plus loin. Même si ce niveau est plus intéressant que le précédent (car l’intention de se servir du sol est ici présente), cela n’est clairement pas acceptable sur du long terme. Malheureusement, beaucoup de pratiquants se trouvent donc bloqués à ce niveau pendant des années et pensent avoir atteint leur plein potentiel. En clair, aucune cohérence de mouvement n’existe sur un plan interne dans les niveaux 0, 1 et 2.

Pour trouver la cohérence, il existe en réalité au moins trois niveaux supplémentaires accessibles si l’on pratique avec méthode et rigueur. Une chose est sûr, si le corps est trop mou ou trop contracté, impossible d’atteindre ces trois niveaux. Il faut, pour les développer, être relâché et apprendre à se servir du Yi en l’orientant correctement. Poursuivons…

NIVEAU 3 :je découvre enfin comment orienter correctement mon Yi. Ma conscience s’est élargie. je comprends désormais que je travaillais effectivement mal. Ma conscience s’est élevé. Je dois désormais changer mon schéma corporel pour apprendre à ressentir la substance interne et la contrôler. Pour cela je dois d’abord apprendre à me relâcher pour estomper les tensions inutiles. Je devrai pouvoir mieux ressentir l’apparition de la substance interne, aussi appelée état de subtilité martiale ou état de cohérence interne. 

Conséquences : le Chaos s’estompe  progressivement pour laisser place au cosmos. Le guidage juste mais encore frêle du Yi fait émerger une cohérence élastique autour de certaines zones d’accroche précises du corps.

Explications : à ce niveau le pratiquant sait désormais qu’il doit oublier son ancien mode de fonctionnement qui paralysait (malgré sa bonne volonté) beaucoup de choses dont :  vitesse, puissance, précision… Son corps est donc désormais plus relâché (disparition des contractions inutiles) et ce relâchement associé à une orientation correcte du YI permet de mieux écouter l’état de  son corps et de dessiner de nouvelles activations spontanées tendineuses/musculaires. Dès cet instant la rééducation du corps est en marche. La conscience du corps grandit peu à peu : les zones “floues” du corps apparaissent désormais comme des zones précisément identifiées. Cela dit, il reste encore du travail pour relier en cohérence les zones d’accroche fraîchement éveillées.

NIVEAU 4 :  J’ai enfin réussi à estomper toutes les tensions inutiles de mon corps, je visualise clairement mon travail interne et je peux enfin ressentir une connexion globale de mon corps. Ma structure corporelle apparaît désormais claire et évidente. Je ressens précisément des axes/lignes d’actions élastiques à travers ma structure. Ma conscience corporelle est hautement élargie.

Conséquences : Cohérence interne naissante à travers le relâchement avec retrait des contractions excessives inutiles et émergence d’une force élastique grandissante dans le corps.

Explications : à ce niveau il est question de relier progressivement et équitablement les zones d’accroche du corps entres elles selon la forme et la direction qu’impose la technique. Le corps se transforme alors à l’intérieur par des micro-ajustements structurels qui forment un maillage tendineux/musculaire complexe et cohérent : comme une toile interne élastique de tout le corps, contrôlable et capable de s’étirer comme un ruban élastique. De nouvelles sensations apparaissent alors : le Ki commence à s’éveiller et à chauffer le corps, l’énergie circule librement et à grande vitesse. La matérialisation de la force interne prend alors vie et cet état nouveau, travaillé régulièrement, devient actif instantanément selon la volonté du pratiquant. Par ailleurs la notion de centre (hara) prend tout son sens et devient un point de passage ou un point de convergence des forces selon le mouvement exécuté. De plus, le pratiquant atteint un niveau de très haute synchronisation corporelle et de fait possède une haute conscience des forces engagées dans son corps lors du mouvement. Le niveau est haut de gamme et incomparable aux états précédents en terme d’efficience. Le corps est alors prêt pour s’essayer à  “sortir la force”.

NIVEAU 5 : en étant relâché et grâce au contrôle parfait du Yi je suis désormais capable d’activer instantanément les zones floues de mon corps et je sais rendre mes élastiques tendineux / musculaires cohérents afin de pouvoir générer une force globale. Cette force globale est la fameuse force interne appelée aussi force multidirectionnelle , force intelligente ou plus communément force souple. Je ressens mon corps sous “pression”. L’état subtil est prêt à livrer sa force.

Conséquences : Cohérence interne désormais exploitable à des fins martiales.

Explications : enfin le pratiquant sait désormais éveiller sa force interne sur ce mouvement. Il peut l’activer à souhait tel l’éclair jaillissant des cieux et générer une puissance explosive supérieure à la normale. La force prend racine dans le sol et s’exprime à travers le corps pour finir sa course dans la main en nukite. Cette force est équivalente au Fajing chinois. Elle traverse le corps libéré de toute contraction inutile et finit sa course projetée hors du corps sous forme d’onde vibratoire.

Conclusion

Personnellement, je pense que la force souple évoquée et tant recherchée dans le shotokai est clairement celle du niveau 5 : complexe et raffinée,  elle ne peut émerger qu’à travers le relâchement et si l’entrainement est précis, guidé et assidu.

Désormais il conviendra de savoir quelle est la méthode précise permettant de passer du niveau 2 jusqu’au niveau 3, 4 et 5… beaucoup de paramètres rentrent en jeu dont : la respiration, la visualisation mentale, etc…

Par ailleurs chaque mouvement, chaque posture possède ses propres règles pour éveiller le niveau 4 (ainsi que le niveau 5 si émission de la force il y a). Le travail d’introspection interne devient alors passionnant pour ceux qui n’ont pas peur de chercher à rééduquer leur corps dans sa globalité ^^

Une chose est sûre : Il y a beaucoup de travail ! Les entraînements sont là pour ça !

Bonne pratique à vous.

A bientôt.

Alexandre.

Du Bubishi à la création massive de styles martiaux : vers une extinction progressive des arts martiaux ?

Amis budokas, bonjour.

C’est avec plaisir que je rédige une fois de plus cette nouvelle réflexion martiale qui me permettra de vous livrer une vision personnelle sur des questionnements relatifs à la notion de « style » dans les arts martiaux. Une fois de plus j’insiste, il ne s’agit pas de vérités absolues mais plutôt des convictions personnelles que je porte et que je souhaite partager tout simplement avec vous. Bonne lecture à tous.

Vous avez dit style !?

Lorsque l’on souhaite s’inscrire pour la première fois dans un club, il est effectivement assez rare que l’on se préoccupe du style enseigné. A vrai dire, on choisit généralement un club qui se trouve à proximité de chez soi et nous nous laissons porter par l’enseignement sans trop se poser de questions. On vient pratiquer le karaté, tout simplement. Lorsque l’on est novice en la matière, ce genre de fonctionnement me semble donc plutôt logique et cohérent. Nous ne demandons en réalité qu’une seule chose : apprendre les arts martiaux. A ce stade nous ne saurons pas encore en capacité de juger pertinemment le style de karaté se présentant à nous : notre référentiel de connaissance et de pratique nécessitera d’être plus avancé pour cela.

En revanche lorsque notre intérêt pour les styles commence à s’éveiller, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une jungle impressionnante : shotokan, wado ryu, goju ryu, shito ryu, kyokushinkai, etc… Autant de styles réunis autour d’une même famille : le karaté. Il est d’ailleurs assez surprenant de se rendre compte à quel point au sein d’un même style il peut aussi y avoir des sensibilités différentes, voir même des différences considérables…C’est notamment le cas en shotokai. Je serai presque tenté de dire qu’il y a autant de styles shotokai que de professeurs l’enseignant… C’est dire à quel point il est difficile de s’y retrouver.

Meilleur style ? Qui a raison ? Quoi choisir ?

La première question qui vient souvent à l’esprit face à tous ces styles lorsque l’on débute est la suivante : quel est le « meilleur style » ?

Cette question est en fait limitante et en appelle une deuxième : « meilleur style » pour quoi faire ?

Si l’objectif est de casser des briques, le shotokai n’est pas à l’honneur…

S’il s’agit de faire de la compétition, le shotokai une fois de plus n’est pas à l’honneur…

En réalité, le meilleur style est celui qui fait écho à vos objectifs personnels. Si votre objectif est de chercher la souplesse du corps, certains styles sont alors plus adaptés que d’autres. Si votre objectif est de savoir vous défendre alors en revanche il faudra davantage orienter la question car tous les styles d’arts martiaux répondent majoritairement à cet objectif : êtes-vous alors plus attirés par les saisies, les percussions, les projections, le contact, etc… ? Car en effet, même si certains styles abordent tout cela, il y a bien souvent des dominantes par style (sans parler du fait que le sensei peut aussi avoir ses préférences sur le choix des éléments enseignés, mais là n’est pas le débat…).

Il faut donc savoir quels sont vos objectifs personnels pour trouver la réponse à cette question. En d’autres termes, il n’y a donc pas de « meilleur style », il y a plutôt des « meilleurs choix » en fonction de vos objectifs et de votre propre personnalité.

La prolifération de styles

Ce qui est intéressant est aussi de s’interroger sur la cause d’une telle prolifération de styles et leurs particularités ? Pourquoi certains karatéka travaillent-ils sur la base de posture haute ? Pourquoi d’autres privilégient-ils des postures basses ? Pourquoi certains favorisent-ils au contraire plus le travail des mains ouvertes quand d’autres insistent sur le travail des poings serrés ? Pourquoi certains styles ont-ils des katas spécifiques non répertoriés ailleurs ? Cherchons nous finalement la même chose ?

Au commencement il est important de comprendre que les arts martiaux puisent leurs racines dans une source commune : le bubishi (considéré à ce jour comme la source ancienne originelle des techniques martiales du karaté, l’un des ouvrages possiblement fondateur du karate-do). De l’Inde, les arts martiaux sont passés par la Chine notamment par le célèbre temple de Shaolin (on connait le nom du mythique moine Bodhidharma qui aurait œuvré à la notoriété de ce temple) et ont poursuivis leur voyage vers Okinawa et le Japon.

A mon sens la prolifération des styles est une conséquence de trois phénomènes cumulables :

  • Cause 1 : la topographie du lieu de vie du pratiquant et l’observation de la nature

On lit souvent que certains styles anciens ont été créés et adaptés en fonction du lieu de vie des pratiquants. Certains vivaient proches des rizières et des cours d’eau et passaient la majorité de leur temps les pieds dans l’eau ou sur des barques ce qui privilégiait alors le développement des membres supérieurs au quotidien. D’autres vivaient dans les plaines et les montagnes où la marche était plus courante favorisant donc le développement des jambes dans la pratique. Cette scission topographique, cumulée à une appropriation de mouvements inspirés d’une faune riche et variée, a pu donner naissance à la création de styles différents. Cette théorie simpliste peut être un point de départ expliquant les différences de styles anciens connus notamment entre les boxes chinoises du nord et du sud (qui ont progressivement données naissance aux styles de karaté que nous connaissons actuellement).

  • Cause 2 : l’interprétation personnelle du pratiquant

Certains pratiquants ont très certainement réinventés leur pratique sur la base de ce qu’ils en avaient compris à l’époque où ils étaient élèves. Mais qu’en avait-il compris ? Dans ce cas de figure, le style devient alors une traduction personnelle d’un enseignement reçu. Une pratique susceptible de devenir une vision déformée ou réductrice par rapport au message d’origine transmis.

En appliquant cette logique sur plusieurs années, on comprend en fait que le phénomène a pu s’accélérer avec le temps, provoquant la naissance de variantes techniques en tout genre et faisant émerger la création de quantités de styles différents. A ce stade de la réflexion, deux possibilités distinctes apparaissent  :

  • soit le style créé comble des lacunes,
  • soit le style créé engendre des lacunes (souvent involontaires). 

Dans le premier cas, les conséquences sont positives car elles œuvrent généralement dans le développement des arts martiaux.

Dans le second cas, les conséquences sont désastreuses et mènent tout droit vers des impasses techniques et des escroqueries. En créant un style ainsi, nous créons de la nouveauté, mais créons nous de la pertinence ? A mon sens, on noie en fait encore un peu plus le message d’origine et les principes sous-jacents à l’art martial. Mais le pire dans tout cela est que le pratiquant débutant n’y verra que du feu et sera trompé. Il perdra indéniablement son temps et s’en rendra compte bien trop tard.

  • Cause 3 : le business

Le karaté est une discipline qui s’inscrit dans le budo mais qui semble perdre peu à peu son caractère intrinsèque au fil du temps. On ne va pas se mentir, les arts martiaux sont devenus eux aussi un levier d’action permettant de générer une forme de business. Ainsi le karaté est devenu aussi un sport, du spectacle et les techniques martiales sont devenues progressivement des techniques répondant à un cadre sportif s’éloignant donc des origines même de ce pourquoi l’art martial avait été créé au départ. Il s’agit d’une vision moderne du karaté avec ses avantages et ses inconvénients.

Les dangers potentiels du temps…

Un style est donc souvent amené à évoluer au fil du temps mais se retrouve du coup exposé au risque d’être peu à peu déformé de son sens originel. Personnellement je pense que le style shotokai a pu en faire les frais. Il y a eu je pense, des erreurs d’interprétation sur les messages laissés par maître Egami. Les connaisseurs savent que le style shotokai est réputé pour ses postures basses et ses techniques réalisées en souplesse. Mais que faut-il comprendre derrière cela ? Il ne s’agit clairement pas de pratiquer “mou” ou “sans kime”, et encore moins de traumatiser son corps en se déplaçant à raz le sol. Je doute que Maître Egami souhaitait laisser de tels messages aux pratiquants. A quoi pensait-il lorsqu’il évoquait l’idée de gagner en efficacité à travers le relâchement ? La réponse me semble se trouver dans l’étude de la transversalité des arts martiaux : qu’est ce qui relie au final tous les styles d’arts martiaux ?

Chercher la transversalité à travers les styles pour trouver des réponses et revenir aux sources

Ce qui me parait le plus important avant d’observer d’abord les autres styles, c’est avant tout de s’interroger déjà sur son propre style et de le travailler avec régularité et intelligence. Que faut il comprendre derrière les mouvements appartenant à mon style ? Pourquoi ces mouvements sont ils réalisés de cette manière et qu’en déduire ? Quels avantages, quels inconvénients ? Il ne s’agit pas de répéter seulement des mouvements. Il faut chercher bien plus.

Suite à cela, il devient effectivement  fondamental d’aborder les autres styles comme des opportunités permettant d’enrichir progressivement son propre style et essayer de mieux le comprendre. Ne pas rejeter ce que font les autres styles mais chercher au contraire à les analyser et à les adapter à sa vision personnelle du karaté.  Je suis convaincu que le style n’est en fait qu’une porte d’entrée possible dans le monde des arts martiaux, une porte d’entrée qui doit permettre d’accéder à la maîtrise de quelque chose de commun à tous les arts martiaux (notion de transversalité). L’importance de la pratique n’est donc pas de cultiver les différences de son propre style, ni même d’apprendre des milliers de techniques mais plutôt de découvrir le mystère du mouvement universel à partir duquel il deviendra alors possible de se libérer de la forme, de briser les chaînes qui nous enferment dans un style précis.

Le style martial pratiqué doit ouvrir la conscience du pratiquant sur ce qui est invisible en apparence mais concret, car là se cache l’essence des choses. Seulement au prix d’une telle recherche nous pouvons, je crois, espérer retrouver une certaine authenticité dans la voie des arts martiaux. Sans cela, les arts martiaux ont ils encore un sens ? Personnellement, je pense que non et que nous nous exposons au risque de dénaturer un art noble en une pratique réduite à singer des mouvements fades et inefficaces.

Les arts martiaux sont bien plus que cela.

Ne laissons pas le temps usurper et effacer des trésors millénaires. Cherchons au contraire à les identifier, à les cultiver et surtout à les préserver pour les offrir à notre tour aux générations présentes et futures, puissent-ils en comprendre l’essence.

En conclusion, faire de notre style, un outil de transmission lisible et éternel pour que jamais ne meurent les trésors martiaux.

A bientôt.

Alexandre.

Réflexion martiale n°6 : comment interpréter le concept de “Do” dans le karaté Do Shotokai ?

Amis budoka bonjour,

aujourd’hui nous aborderons ensemble la notion fondamentale de “Do” dans le karaté do shotokai et plus globalement dans les arts martiaux japonais. Que faut il entendre lorsque l’on parle de “Do” ? Le sujet est vaste… Je vous propose ma compréhension du sujet.

Le concept de “Do” en shotokaï, traduit avant tout l’idée d’une voie, d’une recherche, d’un sens, d’une direction que l’on donne à sa pratique et plus globalement  à notre propre existence. La voie est un chemin qui doit nous permettre en tant que pratiquant de karaté de trouver l’épanouissement personnel à travers la pratique au dojo et plus généralement à travers l’expérience de la vie. Se cache derrière la voie, l’idée prédominante de vivre pleinement sa vie, de la polir constamment de manière à rentrer en résonnance avec son « moi véritable ». En ce sens, le karaté do peut alors être perçu comme un outil socio-éducatif contribuant à cette quête d’épanouissement personnel, de parcours menant vers une forme de perfection du caractère, de quête d’un idéal de la nature humaine. Il ne s’agit donc pas de voir le karaté uniquement comme l’agencement de techniques meurtrières (même si cela peut être le cas) mais d’associer à ces techniques un sens utile à notre développement corporel et spirituel. De manière plus générale, la voie de la main vide  (Karate Do) est donc celle de l’harmonisation de notre corps et de notre esprit. La technique doit servir la cause de la pratique et le karaté do doit nous aider à comprendre comment remplir notre être d’authenticité, d’harmonie, de paix intérieure et extérieure (intérieure : vis à vis de soi-même et extérieure : vis à vis des gens qui nous entourent).  Si la voie des arts martiaux a longtemps servi à détruire (les adversaires sur les champs de bataille), le do insiste désormais plus sur l’idée de construire les individus sur un plan corporel et spirituel. La voie est donc un chemin qui s’entreprend sur plusieurs années (pour ne pas dire sur une vie entière) : construire est en effet souvent bien plus long que de détruire…

Quoi qu’on en dise, la voie est un chemin que l’on suit seul car elle est un chemin avant tout personnel : notre équilibre (corporel, émotionnel, …) est relatif par rapport à nos expériences personnelles de la vie qui constituent un référentiel qui nous est unique, identitaire. Dans ce cadre, le rôle du senseï est donc d’aider le pratiquant à élargir ce référentiel. Mais attention, même accompagné, il appartient au pratiquant seul d’emprunter la voie avec travail, passion, volonté, curiosité et persévérance. Rien n’arrive jamais par hasard… Suivre la voie c’est d’abord être acteur de son changement.

Le senseï, n’impose jamais le chemin, il ouvre des portes et donne des directions. Il doit être un maître à penser pour éveiller corps et esprit du pratiquant et élargir la conscience de ce dernier sur ce qui ne fait pas sens à première vue. La complexité de notre monde inhibe parfois les sens de l’Homme… Les arts martiaux doivent aider à “ouvrir les yeux”.

La notion de “Do”  n’est pas inhérente au karaté. On retrouve en effet cette notion dans beaucoup d’autres arts martiaux japonais : Aikido, Kendo, Judo, etc… Même si la finalité du « Do » est commune à ces pratiques et vise le satori (l’éveil spirituel, la compréhension) chaque discipline propose en revanche des moyens différents pour suivre la voie et atteindre le stade de la compréhension.

Concernant le karaté do shotokai, les moyens sont historiques et prennent donc racines dans le passé. D’après les écrits shotokaï, on note que Maître Shigeru Egami vouait une recherche sur l’amélioration de l’efficacité de ses tsuki et donc de son karaté. Il s’est rendu compte que les tsuki de karateka manquaient sérieusement d’efficacité et qu’il y avait des raisons concrètes à cela. Il en est alors venu à proposer un karaté différent, moins rigide, basé sur les principes fondateurs suivants : être souple, relâché, détendu dans sa pratique pour tendre vers une efficacité accrue. La shotokaï repose donc sur la recherche de l’efficacité par la souplesse, le relâchement, la détente. Cela dit, si par « souplesse », « relâchement » ou « détente » on entend « molesse » alors le cadre de départ est déformé et il devient difficile de prétendre pratiquer le shotokaï. Comment alors s’inscrire dans la voie et la comprendre si les fondamentaux de la pratique ne sont alors pas assimilés, pire parfois même complètement ignorés ? Suivre la voie est personnelle certes mais s’inscrit dans un cadre très précis. L’élévation du corps et de l’esprit ne peut se faire si l’on fait n’importe quoi. L’apprentissage de la voie passe donc par des contraintes préalables qu’il est fondamental de respecter au risque de se perdre en chemin. La liberté n’a de sens que si l’on sait d’abord ce que sont les contraintes.

Suivre une voie exige donc en premier lieu de respecter un cadre, des principes de départ fixés par la dite discipline et de s’inscrire dans ces principes en connaissance de cause pour grandir et tendre peu à peu vers la compréhension. Ce sont ces principes qui permettent d’élargir la conscience et de comprendre progressivement la voie qui façonne harmonieusement corps et esprit. Ignorer ou rejeter les principes, c’est s’éloigner de la voie.

A bientôt.

Réflexion martiale n°5 : Comment continuer à progresser dans les arts martiaux après le 1er DAN ?

Bonjour à tous,

souvent lorsque nous arrivons à un certain niveau de pratique il devient plus difficile de continuer à progresser. Je vous fais donc part de mon expérience personnelle sur le sujet en espérant qu’elle puisse vous aider.

Deux schémas d’apprentissage existent dans les arts martiaux

  • Premier schéma : il est basé sur l’apprentissage indirect des principes d’utilisation universelle du corps via l’étude de formes et de techniques largement codifiées (karaté, judo, kung-fu, etc… illustrent ce schéma). A mon sens, ce schéma a été créé pour essayer de rendre la démarche d’apprentissage plus accessible à la population. Dans ce schéma, l’apprentissage ressemble à une forme de spirale ascendante dans laquelle le pratiquant repasse régulièrement par les fondamentaux pour les optimiser. Cela dit, trop souvent on constate que les pratiquants se contentent de l’apprentissage de la technique dans sa forme superficielle sans chercher à réellement l’explorer et à la remettre en cause. Ceci est, je pense, l’une des causes possible de stagnation ou de régression dans la pratique car elle ne permet pas d’accéder à la « connaissance supérieure ».
  • Deuxième schéma : il est basé sur l’apprentissage direct des principes d’utilisation universelle du corps (aunkaï, yi chuan, etc…illustrent ce schéma) et fait abstraction des catalogues techniques. Ce schéma d’apprentissage a un caractère plus direct vers l’essence de l’art martial, mais s’avère être plus fermé au sens où il s’adresse à des pratiquants beaucoup plus avertis. A mon sens, ce schéma d’apprentissage demande un niveau de maturité supérieure et une ouverture d’esprit affirmée. Dans ce cas de figure, l’apprentissage touche en plein cœur l’essence même de ce qu’est un art martial : l’art de façonner harmonieusement corps et esprit. Il s’agit donc d’un schéma d’apprentissage extrêmement intéressant.

En karaté-do shotokai c’est généralement le premier schéma d’apprentissage qui est exploité afin de rendre l’enseignement plus accessible au commun des mortels. Mais progressivement cet apprentissage doit tendre vers les concepts du deuxième schéma afin que le pratiquant transcende la technique et parvienne à dépasser le monde du visible. Je dirai donc que la voie du karaté shotokaï s’étudie en plusieurs temps.

D’abord la courbe de progression est ascendante (on découvre le visible, on est débutant)

Lorsque l’on débute le karaté, la progression est généralement nette : apprentissage des techniques fondamentales, apprentissage des katas, etc… Tout s’emballe car le contenu est dense et nouveau. Puis vient le temps ou nous récitons parfaitement nos katas à force de les avoir répétés, les termes techniques japonais nous deviennent davantage familiers… Nous sommes par ailleurs de plus en plus à l’aise avec la quantité d’éducatifs habituellement pratiqués au dojo… Et pour couronner le tout, grâce au travail et à la persévérance nous réussissons l’examen du Shodan (ceinture noire 1er DAN), ce graal tant espéré des débutants… Et après ?

La courbe de progression en vient à stagner (on persiste dans le visible, on est toujours débutant)

En tant que pratiquants honnêtes et sincères, nous tâchons de pratiquer assidûment mais malgré cela, les efforts fournis ne semblent pas vraiment récompenser notre travail à sa juste valeur. Nous doutons parfois de la pertinence de notre pratique. Puis progressivement, nous nous installons alors dans une routine qui ne semble pas réellement nous faire progresser car tout ce que l’on nous montre, nous pensons déjà le connaitre…L’ennui commence alors sérieusement à nous guetter et l’on se dit que l’on a très certainement fait le tour de la discipline. L’envie d’arrêter ou de découvrir une autre discipline martiale nous gagne et l’on se convint que le changement de discipline apportera son lot de nouveautés et qu’il nous permettra ainsi de continuer à progresser.

Lorsque l’on est sur la voie des arts martiaux, une telle réflexion démontre en réalité un manque de compréhension certain du sens de la pratique. Cela signifie que contrairement à ce que nous pensons, nous sommes fondamentalement toujours de grands débutants et que le vrai chemin vers la connaissance supérieure de l’art martial n’a pas réellement commencé… Mais alors, comment procéder à ce stade de la pratique ?

Il convient de pratiquer avec davantage de méthode et d’intelligence (on se détache du visible, on devient avancé dans la pratique)

Souvent on croit que la solution consiste à « répéter davantage les choses pour s’améliorer ». En clair on se dit que l’on ne progresse plus car on ne répète tout simplement pas assez ce que l’on « sait » déjà. Cela est à moitié vrai car quid de la répétition d’un geste mal appris, mal intégré ? Dans ce cas précis, la répétition ne fera en fait que confirmer un mauvais pli acquis lors de notre pratique. En clair la répétition fera de nous des pratiquants encore plus « mauvais ». La répétition n’est bonne que lorsque le geste est compris.

A mon sens, le grand voyage en terre martiale peut sérieusement commencer sous condition d’intégrer à minima les trois points suivants à sa pratique :

  • Premier point : franchir la barrière des certitudes et savoir se remettre en question

Etre prêt à découvrir l’essence de l’art martial signifie vouloir remettre en question tout ce que nous considérons comme étant actuellement acquis. D’années en années, il est facile de laisser des habitudes s’installer mais quand les habitudes sont mauvaises, il faut y remédier. La recherche de facilité n’est pas la voie des arts martiaux, soyons en sûr ! Bien souvent à ce stade il va falloir tester, casser/adapter les bases pour confirmer/réfuter et ainsi tendre vers une reconstruction plus optimale. C’est une phase délicate que peu de pratiquants s’imposent car à court terme, on redevient en quelque sorte « fragile » dans sa pratique. En revanche sur du long terme, on capitalise et cet effort de remise en cause pourra générer de nombreuses vertus : il aiguisera notre propre esprit d’analyse, il améliorera notre technique et il nous apprendra à descendre de notre piédestal en nous rappelant qu’il faut être humble, sincère et honnête vis-à-vis de sa pratique. Savoir se remettre en question est un pré requis indispensable pour progresser. Accepter la critique constructive et pertinente fait parti de ce premier point.

  • Deuxième point : élargir sa conscience en apprenant à voir et non à regarder

Une fois le premier point accepté, il faut apprendre à voir et non à regarder. L’ivresse technique est un leurre lorsque l’on ne sait pas voir et c’est là un fondement auquel il faut prêter attention au risque de se noyer. Elargir sa conscience consiste à voir au-delà des apparences. Par conséquent bien souvent on stagne car l’on ne sait pas réellement voir le mouvement, ce que cache concrètement la technique. Tout enseignement martial doit mener à comprendre ce que signifie « voir ». Pour parvenir à cela, plusieurs possibilités complémentaires s’offrent à nous : poursuivre une pratique régulière et assidue et être bien guidé, suivre des stages, se documenter en lisant toutes formes d’ouvrages sérieux sur les arts martiaux.

  • Troisième point : se faire confiance, croire en soi et s’accrocher

Ce qui peut également nous freiner dans la progression se sont les jugements extérieurs sur notre pratique qui visent à dévaloriser/décourager notre transformation incomprise. Parfois des gens se permettent en effet de remettre en cause et de juger gratuitement notre travail et nos valeurs sans argument construit. Mais on le sait bien : critiquer ou ignorer volontairement quelque chose que l’on ne comprend pas est plus facile que de fournir l’effort de chercher à le comprendre. Ne nous arrêtons donc pas à de telles attitudes indignes qui n’ont pas leur place dans le karate-do. Considérons bien au contraire le changement dans la pratique comme un processus d’amélioration conscient qui doit tendre vers une harmonisation corps/esprit plus maîtrisée et donc plus aiguisée. Il n’y a rien de plus sincère et honnête pour un pratiquant que d’être dans une dynamique qui tend à vouloir comprendre l’essence même de l’art martial. Il n’y a donc pas de place pour les médisances et la bassesse dans une recherche aussi pure que celle des arts martiaux. Croyons donc en nous et accrochons nous.

En appliquant ces trois points, je peux vous garantir que la pratique aura une marge de progression incroyable.

Reste à savoir désormais si l’on est prêt à oser franchir le cap ?

Amis budokas, à bientôt pour une prochaine réflexion martiale.

Réflexion martiale n°4 : tendu, détendu, relâché, mou ; ne pas se méprendre dans sa pratique shotokaï…

Bonjour à tous !

Je vous propose aujourd’hui un sujet particulièrement complexe à appréhender mais d’une haute importance. Il s’agit en effet des notions de « tension », « détente », « relâchement » et « mollesse » dans le shotokai et les arts martiaux en général. Bien que l’on associe souvent la « détente » à l’esprit et le « relâchement » plutôt aux fonctions corporelles (principalement aux muscles), pour ces deux notions, j’aimerai spécifiquement apporter quelques nuances sur la manière dont je vois personnellement les choses par rapport à la pratique martiale. A mon sens, il est impératif de savoir en tant que pratiquant ce que l’on met derrière de tels concepts et surtout quelles sont les conclusions à en tirer pour la pratique…

Pour cela, prenons donc quelques images pour tenter de clarifier le propos.

La métaphore de l’élastique et de la marionnette articulée

 o   Etat de tension : lorsque je tire entre deux doigts un élastique, celui-ci se tend pour prendre un état d’étirement que je nommerai ici état de « tension ». L’élastique sous « tension » acquiert une force de réaction lié à son étirement. Il emmagasine une certaine énergie qui pourra éventuellement être exploitée à des fins de projection. Une surtension entrainera par ailleurs la rupture de l’élastique… Mais là n’est pas le sujet aujourd’hui.

A partir du moment où l’élastique est étiré entre nos doigts, s’ouvre alors à nous trois nouvelles possibilités distinctes :

o   Etat de détente : on peut choisir de « détendre » l’élastique : auquel cas il reste entre vos doigts mais conserve un certain état de tension contrôlée que j’appellerai ici état de « détente ». Cela signifie que l’on réduit la tension mais que cette dernière persiste encore dans l’élastique. J’associe donc la détente à une notion de tension (au sens élasticité) réduite mais persistante. On parle d’ailleurs souvent de la détente d’un gardien lorsqu’il saute pour arrêter un ballon ou de la détente d’un basketteur lorsqu’il s’élance vers le panier pour faire un dunk…, On fait ici référence à la qualité de l’étirement qui surgit et persiste dans le mouvement et qui vient donc optimiser ce mouvement.

o   Etat de relâchement : on peut choisir de « relâcher » l’élastique : auquel cas il perd la « tension » que nous lui avions préalablement ajoutée. Dans ce cas, l’élastique revient naturellement dans son état initial que je nomme ici état « relâché » : état dans lequel l’élastique n’est en fait pas soumis à un surplus de tensions. Sa tension native lui suffit à préserver sa forme d’origine.

o   Etat de mollesse : on peut choisir de relâcher l’élastique tout en exerçant en plus une pression supplémentaire sur celui-ci pour l’écraser. A ce moment l’élastique repasse par son état « relâché » mais en plus subit une déformation : il devient « mou » signifiant pour moi, qu’au-delà d’une perte de tension élastique évidente, il se déforme, se déstructure par rapport à sa forme d’origine. Il perd sa forme intrinsèque de maintien et ne pourra être à nouveau étiré sans repasser par sa forme d’origine.

Par conséquent « relâchement » n’est en aucun cas un synonyme de “molesse”. Trop souvent en shotokai on constate en fait que les mouvements sont « mous » et non pas « relâchés », ils manquent en fait de substance élastique cohérente et homogène pour entraîner intégralement le mouvement. Un mouvement sans substance élastique est “vide”. A contrario on le caractérisera de “plein” si l’élasticité juste de tout le corps est correctement maintenue.

Pour faire le parallèle avec une marionnette articulée :

si les ficelles qui relient la marionnette à son support mobile sont « molles », la marionnette tombe et aucune expression de mouvement fluide et naturel ne peut lui être directement transmise. Il faut donc trouver la tension juste (au sens étirement et non pas contraction) pour transmettre le mouvement juste et donner ainsi vie et crédibilité aux mouvements de la marionnette.

Le corps humain, une structure élastique complexe

A présent, si la métaphore de l’élastique et de la marionnette aident déjà à y voir un peu plus clair, il faut désormais être capable de transposer ces notions sur le corps humain pour que cela soit profitable dans les arts martiaux. En fait, le corps humain est bien plus complexe qu’un simple élastique. Le corps doit être vu effectivement comme un réseau d’élastiques en interactions (principe de « tenségrité »), le tout étant pilotable par le cerveau (grâce aux intentions). Le contrôle des élastiques dépend en réalité de vos habitudes posturales et de votre état émotionnel qui conditionne votre état corporel. Ceci veut dire que l’état du corps dans lequel vous êtes, par exemple en lisant cet article, ne garantit pas que vous soyez « relâché ». Il peut persister en vous des tensions inutiles au maintien efficient de votre posture (par efficient j’entends : un minimum d’effort pour un maximum d’efficacité). Le pire c’est que vous n’avez même pas forcément conscience de vos tensions excessives à cause des habitudes bien ancrées dans votre cerveau.

Sur un plan martial, la première étape est donc de prendre conscience déjà de ces tensions inutiles (ici au sens contraction et non étirement) par des exercices adaptés. Dans un deuxième temps, il conviendra d’effacer ensuite ces tensions afin d’acquérir un réel état de relâchement corporel (sur ce point là, effacer les tensions inutiles requiert une réelle expertise et c’est l’un des buts du shotokaï que d’y parvenir). Enfin, vous devrez apprendre progressivement à acquérir la maîtrise de votre réseau élastique corporel dans son intégralité pour “connecter” votre corps et tendre vers une qualité de mouvement supérieure. Corps et esprit devront alors bien s’entendre et fonctionner en parfaite harmonie. Cela dit, ne vous méprenez pas ! Exploiter le réseau élastique de votre corps ne signifie pas s’étirer visuellement en croyant que : “plus je travaille bas et grand, plus j’active mon réseau élastique”…Cela est très piégeux de penser ainsi et c’est à mon sens ce qui a pu conduire parfois en shotokai à certains travers ou quiproquo qui mènent droit dans le mur… Il y a du bon à travailler bas mais cela n’est pas suffisant pour comprendre la subtilité de votre propre structure élastique dans son intégralité. L’étirement dont je parle est plus profond que cela, il est au cœur même de votre mouvement et repose sur le principe de l’intention (Yi) et des forces contradictoires (Yin et Yang)… en clair, le réseau élastique que j’évoque est parfaitement activable même en partant d’une posture debout telle que hachi ji dachi… Des exercices précis existent pour ressentir ce réseau élastique et réussir à l’activer. Alors il sera possible à votre corps de devenir non pas « contracté » mais « ferme », « dense », ce qui est très différent !  Ceci étant, l’activation d’un tel réseau  demande du temps mais surtout de bons conseils et au final une réelle expertise. Il s’agit d’un travail fin, complètement haut de gamme qui reflète, à mon sens, la réelle profondeur des arts martiaux. Ainsi, le senseï à un rôle capital pour vous aider à comprendre et ressentir le travail permettant de tendre vers la maîtrise du mouvement « juste », le mouvement qui intègre de manière consciente la fermeté à travers le relâchement.

Sans rentrer plus dans les détails, je vous laisse donc réfléchir à toutes ces notions d’une extrême importance pour optimiser votre travail : suis-je tendu, détendu, relâché, mou ? Comment éveiller la substance élastique en moi et surtout de manière cohérente quelque soit le mouvement ? Comment puis-je rendre au final mon shotokai plus pertinent dans son approche ? Seule une activation juste de votre structure élastique corporelle, permet de faire circuler pleinement l’énergie dans votre corps et vous ouvre les portes “secrètes” de l’art martial où corps et esprit ne font plus qu’un.

Sachez que cet article est loin d’être complet mais il donne déjà des grandes lignes et livre, je pense, une bonne base de travail pour progresser dans la voie des arts martiaux. Certes, le sujet est complexe et cela peut laisser sceptique mais le jour où ces éléments vous parlerons, vous verrez en eux comme des évidences… C’est certain.Vous vivrez alors une réelle révolution dans votre karaté ! Vous aurez alors franchi à mon sens un nouveau stade d’éveil dans votre pratique…

A bientôt pour une prochaine réflexion martiale ^^

 

Réflexion martiale n°3 : Senpaï, celui qui est né avant nous dans la pratique…

Bonjour amis budoka, j’espère que vous allez bien.

Aujourd’hui la réflexion proposée concerne principalement les senpaï, mais pas n’importe lesquels : je parle de ces anciens pratiquants, nés avant nous dans la pratique et qui nous ont aidés à travers les keiko pour perfectionner notre art. Dans ma pratique, je me souviens en effet avoir côtoyé beaucoup de senpaï et pour lesquels j’ai aujourd’hui un profond respect. Il s’agit de ces pratiquants qui ne font pas spécialement de bruit pendant les cours et qui viennent régulièrement s’entraîner avec plaisir et motivation. Des pratiquants qui ont un certain niveau de connaissances martiales et qui nous ont inspirés un moment donné. Des pratiquants qui respirent bienveillance et simplicité et avec qui l’on peut discuter de tout et de rien à la sortie du keiko… Des pratiquants qui donnent en fait une saveur supplémentaire au cours … Ces gens, pour moi, témoignent d’une vraie qualité d’âme. Une qualité qui ne se construit pas sur des apparences mais sur des valeurs fondamentalement bienveillantes. En effet, les apparences peuvent être trompeuses comme je le dis souvent : « l’Homme qui vous veut du bien n’est pas toujours celui qui vous sourit, vous salue ou vous félicite ». Sachez discerner le vrai du faux. Sachez cerner les âmes « véritables » de celles qui jouent et feintent de l’être. Sachez « lire » la personne qui vous fait face. Cette remarque vaut bien sûr pour la vie quotidienne mais aussi pour une situation de kumite où les intentions doivent être comprises rapidement sous peine d’en payer le prix. Il faut bien en avoir conscience même si cela n’est pas toujours évident, c’est important. Le karaté a beaucoup à nous apprendre sur ce point.

En conclusion, je tenais donc à remercier tous ces senpaï qui nous font grandir à travers la voie des arts martiaux. Sachons les repérer lors des cours et considérons-les à leur juste valeur car ils apportent au-delà de l’aspect purement technique, des valeurs humaines qui font d’un club, sa vraie richesse.

A bientôt pour notre prochaine réflexion martiale qui s’annoncera technique…

Réflexion martiale n°2 : sports de combat et arts martiaux, même combat ? Quid du Shotokai ?

Bonjour à tous,

je vous propose aujourd’hui une nouvelle réflexion martiale qui mérite à mon avis de s’arrêter quelques instants, car en effet, elle prête souvent à confusion. Les apparences peuvent être trompeuses… Je vais volontairement caricaturer les choses pour tenter de vous aider à comprendre la différence entre sports de combat et arts martiaux. Je vous propose ici une brève synthèse concernant ces deux formes de pratique.

Sur la base de mon expérience personnelle, je résumerai les choses ainsi :

  • Quand l’une cherche la victoire sur l’adversaire, l’autre cherche la victoire avec le partenaire,
  • Quand l’une privilégie le spectacle, l’autre privilégie l’action discrète,
  • Quand l’une se soucie du plus fort, l’autre veille à renforcer le plus faible,
  • Quand l’une prépare le champion de demain, l’autre construit l’Homme du présent,
  • Quand l’une cherche à récolter les médailles, l’autre cherche à cultiver les fruits de la sagesse,
  • Quand l’une se stoppe à un certain âge, l’autre se poursuit jusqu’à un âge certain,
  • Quand l’une impose des règles compétitives, l’autre enseigne des règles universelles.

La première est sportive, la deuxième est martiale.

En réalité si sports de combat et arts martiaux travaillent tous deux sur le corps et l’esprit, ils sont pourtant bien différents dans le fond. Pour moi, ces deux formes de pratique sont comme l’océan : si l’on survole du regard ce dernier, on perçoit seulement l’eau jusqu’à l’infini . En revanche  si l’on dépasse les simples apparences alors on peut voir dans l’océan plus qu’une simple étendue d’eau. On distinguera alors d’une part la surface visible et agitée des houles (le sport de combat) et d’autre part le fond invisible et calme empli de mystères (les arts martiaux). Deux versants différents d’un même océan… Il ne faut donc pas se limiter aux apparences. Il conviendra donc désormais de bien distinguer karaté “sportif” et karaté “martial” même si l’ensemble est regroupé sous l’appellation unique de “karaté”.

Mais alors qu’est ce qui est mieux en terme de pratique : sport de combat ou arts martiaux ? En réalité, cette question n’a strictement aucun sens dès lors où ces pratiques ne visent pas les mêmes objectifs et ne s’adressent donc pas aux même personnes, aux mêmes besoins. Il appartient seulement au pratiquant de savoir ce qui lui correspond le mieux pour son besoin d’épanouissement personnel. En revanche, soyez sûr d’une chose : à travers ces deux formes de pratique, si les objectifs sont différents, le travail technique l’est aussi.

Pour l’heure, le karaté do shotokaï est donc bien un art martial et non un sport de combat. Aucune compétition n’est préconisée dans ce style de karaté (bien qu’elle ne soit pas formellement proscrite pour autant). En shotokaï le seul adversaire : c’est nous même. Sa pratique est avant tout conçue pour développer une utilisation fine du corps par l’esprit et espérer longévité au pratiquant. D’ailleurs cette philosophie martiale n’est pas spécifique au shotokaï. Je dirai même qu’elle est l’essence des arts martiaux en général. Elle puise en réalité ses sources directement de Chine via le kung-fu Shaolin, qui avait pour objectif premier de tonifier les moines du temple par la mise en application de formes précises. Pratiquer un art martial c’est donc chercher la connaissance subtile du corps alliée à la puissance de l’esprit.

Enfin je terminerai par une petite digression mais qui à mon sens s’impose dans cet article. L’usage de gants de protection lors d’entrainement martiaux a parfois une connotation sportive auprès de certains puristes qui associent l’image du gant à la pratique d’un karaté sportif. Personnellement je ne partage pas cette vision. Pour moi, l’usage de gants ne caractérise en rien le fait que la pratique soit sportive ou martiale. Ce n’est pas cela qui détermine si l’on pratique un sport de combat ou un art martial. Les gants ne sont qu’un moyen permettant d’aborder des objectifs qui peuvent être : ou sportifs, ou martiaux. Ne confondons donc pas moyens et objectifs. Ainsi gants et shotokai sont deux termes, qui à mon sens, restent parfaitement compatibles. Il faut juste bien savoir ce que signifie pratiquer un sport de combat et pratiquer un art martial et ne pas perdre de vue ce que l’on étudie.

Amis budoka, j’espère que ma vision des choses vous parle et qu’elle fait écho à votre vision actuelle. Si tel n’était pas le cas, ce n’est pas grave car l’objectif de ces réflexions est avant tout de mettre à plat des sujets martiaux variés, qui n’ont qu’une seule prétention : le plaisir de partager.

Rendez-vous pour une prochaine réflexion martiale ^^

A bientôt.

Réflexion martiale n°1 : de la technique shotokai doivent naître des principes, des principes naîtra le corps martial

Voici la première réflexion martiale que je vous propose aujourd’hui. Je vous partage ces quelques lignes non pas comme un répertoire de vérités mais plutôt comme des supports à la réflexion qui m’aident d’une part à structurer ma pensée mais qui d’autre part pourraient vous aider à éclaircir la votre ou du moins vous amener à vous interroger sur le rôle de la technique. Il s’agit bien entendu d’une réflexion que j’essaye d’appliquer personnellement à chaque entrainement depuis maintenant plusieurs années.

La technique est un socle d’apprentissage dont il faut se méfier lorsque l’on souhaite franchir un cap dans sa pratique shotokaï

Les techniques sont bien souvent codifiées à travers des formes, standardisées et respectent donc des critères bien précis. En effet, notre conditionnement sociétal fait que nous avons pris pour habitude de ranger, classer, structurer les choses de manière à les rendre identifiables, exploitables, uniques, comparables, précises. Il suffit de voir l’existence de nos fameux dictionnaires pour s’en convaincre. Tout est conceptuellement bien rangé dans ce monde dans lequel nous vivons. Il n’y a en réalité pas de place pour l’indescriptible, le « entre deux »… Du chaos est né le cosmos, je n’invente rien. La technique est au final similaire à un mot du dictionnaire : un moyen concis, précis, permettant de véhiculer un sens, une idée (en réponse à une attaque par exemple). Au même titre que lorsque l’on apprend une langue, il est donc normal au début de vouloir enrichir son vocabulaire martial. Oi tsuki, uraken uchi, empi uchi, age uke, mae geri, tobi geri, gyaku tsuki, otoshi, etc…autant de noms différents que de techniques différentes… un vrai « catalogue » et il y en a pour tous les goûts… Il est encore plus vrai pour le pratiquant actuel de vouloir enrichir sans cesse son catalogue martial dans une société où l’on nous pousse à consommer à outrance et à nous inciter à vouloir toujours plus. Mais est ce bien important sur le plan martial de “collectionner” des techniques ? Connaitre par exemple 20 katas signifie-t-il réellement qu’ils sont bien maîtrisés et intégrés ? Pas si sûr… Personnellement se recentrer sur l’essentiel me parait hautement plus profitable mais au combien plus difficile… On ne peut pas tricher avec l’essence des choses car cela se voit rapidement… Il faut avoir conscience que vouloir collectionner des techniques sur du long terme est un vrai risque d’éparpillement et de dilution pour la pratique. Se noyer dans des amas techniques est pourtant chose courante : on finit par se perdre et ne plus voir l’essence des choses, l’ADN de l’art martial. Du coup on ne fait que survoler son art.

Soulignons également que la technique de par sa forme imposée sclérose le pratiquant dans son évolution s’il ne sait pas voir : on apprend des formes que l’on répète inlassablement en justifiant que le temps fera son affaire. Cela se saurait si les choses étaient si simples. La technique est un passage mais en rien une finalité…

Aussi, on constate souvent que dans les styles, c’est finalement la technique qui cloisonne en créant des communautés qui ne se comprennent qu’entre elles car le langage utilisé est “propriétaire”. En effet l’apprentissage d’un style nous pousse malgré nous à vouloir cultiver notre différence technique au regard des autres communautés martiales, comme si la technique que nous pratiquions était la seule vérité. Attention, perçue ainsi, la technique au lieu de rassembler, divise.

Bref il faut se méfier de la technique et du purisme trop rigide qu’on peut lui associer. Comment percevoir la technique alors pour qu’elle puisse faire grandir et surtout pour qu’elle puisse devenir plus universelle ?

Pour aborder correctement la technique il faut d’abord bien considérer nos différences corporelles respectives

Partons d’abord du constat évident, mais trop souvent négligé, que tous les individus ne possèdent pas les mêmes caractéristiques physiologiques : grandes ou petites jambes, souplesse ou raideur articulaire, forte ou faible densité musculaire, fibres musculaires courtes ou longues, hyper cambrure ou non, etc… Nous naissons avec un capital génétique, système d’information complexe qui code nos points forts, nos points faibles, notre corps, notre être entier. Bien entendu l’expérience de la vie acquise au fil du temps nous permet d’influer sur notre corps et permet de jouer sur certaines variables offertes par la nature mais la variabilité est parfois mince. En effet faire le grand écart par exemple, n’est bio-mécaniquement  pas possible pour tout le monde. C’est pourquoi insister sur de tels compétences lors d’entrainement peut être complètement contre productif voir même destructif à terme pour le pratiquant : crispation, sur sollicitation articulaire, blessures prématurées, frustration, arrêt de la pratique, etc… Dans ce schéma de pratique la sélection naturelle suffira à dire que vous n’êtes pas prédisposé pour telle ou telle pratique ou pire, que les arts martiaux ne sont tout simplement pas faits pour vous. C’est bien triste de se fixer des barrières illusoires avant même d’essayer. Les arts martiaux sont accessibles à tous si l’on voit la pratique sur le bon angle. La technique doit pouvoir s’adapter au corps du pratiquant. Pour cela il faut élargir sa propre conscience sur ce qu’est réellement la technique et sa finalité. La technique juste doit permettre à chacun de trouver l’essence des choses, ce que je nommerai ici : les principes universels. Par conséquent, s’imposer une somme de critères techniques s’il n’y a pas de recherche de principes derrière me semble très limité pour évoluer dans la pratique…

Pour aller plus loin, il faut élargir sa conscience pour intégrer les principes universels

Celui qui ignore qu’il ignore n’ira malheureusement pas loin sauf si une personne l’aide à ouvrir les yeux. En revanche une personne qui a conscience de son ignorance est déjà plus avancée à mon sens… Ce à quoi il est fondamental de réfléchir, pour tendre vers un karaté plus subtil, est donc d’élargir sa conscience pour trouver comment faire jaillir d’une technique, des principes. En effet trouver une gestuelle universelle qui transcende la technique et qui peut être intégrée par chacun de nous quelque soit notre morphologie, notre style martial d’origine est essentiel. Un langage commun, partageable et intégrable par tous. Je parle ici du langage universel du “corps martial” : celui du mouvement libre qui se détache de la forme et qui démontre une compréhension fine de votre technique. Le mouvement qui témoigne d’une utilisation « juste » d’un corps au service de l’esprit. A ce stade de conscience, la technique n’aura plus de saveur stylisée mais une saveur universelle imprégnée de principes profondément ancrés en nous. On n’exprimera donc plus des techniques dans sa pratique mais seulement des principes : la vision  à ce stade est clairement différente en terme de pratique. Il s’agit d’une vision martiale avancée. Le seul moyen de parvenir à ce langage universel donc, est à mon sens de construire sa pratique non pas comme un catalogue de techniques à collectionner mais plutôt comme un catalogue de principes universels à identifier et à intégrer. Des principes dits « universels » car ils reposent sur des lois physiques universels et sont exploitables par chacun de nous indépendamment de notre physiologie, de nos origines, etc… Ils sont en latence et attendent seulement l’éveil. Respecter scrupuleusement une forme ne suffit pas pour comprendre réellement les arts martiaux : au contraire elle peut tout aussi bien faire progresser positivement (se rapprocher des principes) ou négativement (s’éloigner des principes) si l’on n’est pas attentif. La voie mène parfois sur de fausses pistes. Il faut donc être vigilant et parfois savoir transiger avec le purisme des formes pour comprendre et réveiller ce potentiel enfoui sous la technique. Il faut savoir faire de notre technique une gestuelle transdisciplinaire, une gestuelle de la forme sans forme (ce qui rejoint sur ce point les idées véhiculées par Bruce Lee soit dit au passage). Intégrer un principe universel est donc évidemment bien plus puissant que de vouloir posséder un catalogue de techniques. Si la technique fonctionne dans un cadre donné pour un physique donné, un principe fonctionnera quasiment dans tous les contextes pour tous les physiques. Du principe intégré pourra alors jaillir une infinité de possibilités techniques solides et cohérentes. Il faut en effet apprendre à exploiter son corps et à le former de manière à réaliser que n’importe quel mouvement du corps puisse devenir martial (ce qui élargi le champ des possibles par rapport au catalogue technique de départ). La finalité est alors non pas de collecter des techniques mais d’obtenir la compétence mère, celle du corps martial, compétence au combien puissante. C’est exactement cela qu’il faut trouver à mon sens par la pratique pour prétendre pratiquer les arts martiaux.

Ainsi, je suis convaincu que la création d’un style n’a donc de sens que s’il permet d’accéder à ces fameux principes universels, sans quoi la pratique sera à long terme, je pense, triste, limitée, inefficace et en sommes bien fade.

Pour moi, un pratiquant expérimenté est donc reconnaissable non pas à la teinte de sa ceinture ni même dans le nombre de mouvements qu’il connait. Le niveau sera supérieur à partir du moment où le nombre d’ingrédients intégrés à un mouvement unitaire simple (gedan baraï par exemple) fera de ce mouvement simple un mouvement de haute couture démontrant l’usage de principes universels maîtrisés. A ce moment alors la technique ne sera plus, elle s’effacera pour laisser libre expression aux principes traduisant simplement le mouvement juste. A ce stade, le champ des possibles deviendra alors d’une profondeur infinie… n’importe quel mouvement réalisé deviendra martial ; corps et esprit seront parés pour s’adapter à n’importe quelle situation. La technique deviendra alors un mouvement d’artiste martial, un mouvement qui dépassera les frontières purement stylistiques, le mouvement exprimé par un corps libre, disponible et naturel.

A tous ceux pour qui ces éléments ne sont pas évidents, je vous invite grandement à y réfléchir… Les bénéfices en sont immenses pour la pratique. En espérant que cela puisse sincèrement vous aider.

On se retrouve pour une prochaine réflexion martiale ^^

A bientôt.