Réflexion martiale n°4 : tendu, détendu, relâché, mou ; ne pas se méprendre dans sa pratique shotokaï…

Bonjour à tous !

Je vous propose aujourd’hui un sujet particulièrement complexe à appréhender mais d’une haute importance. Il s’agit en effet des notions de « tension », « détente », « relâchement » et « mollesse » dans le shotokai et les arts martiaux en général. Bien que l’on associe souvent la « détente » à l’esprit et le « relâchement » plutôt aux fonctions corporelles (principalement aux muscles), pour ces deux notions, j’aimerai spécifiquement apporter quelques nuances sur la manière dont je vois personnellement les choses par rapport à la pratique martiale. A mon sens, il est impératif de savoir en tant que pratiquant ce que l’on met derrière de tels concepts et surtout quelles sont les conclusions à en tirer pour la pratique…

Pour cela, prenons donc quelques images pour tenter de clarifier le propos.

La métaphore de l’élastique et de la marionnette articulée

 o   Etat de tension : lorsque je tire entre deux doigts un élastique, celui-ci se tend pour prendre un état d’étirement que je nommerai ici état de « tension ». L’élastique sous « tension » acquiert une force de réaction lié à son étirement. Il emmagasine une certaine énergie qui pourra éventuellement être exploitée à des fins de projection. Une surtension entrainera par ailleurs la rupture de l’élastique… Mais là n’est pas le sujet aujourd’hui.

A partir du moment où l’élastique est étiré entre nos doigts, s’ouvre alors à nous trois nouvelles possibilités distinctes :

o   Etat de détente : on peut choisir de « détendre » l’élastique : auquel cas il reste entre vos doigts mais conserve un certain état de tension contrôlée que j’appellerai ici état de « détente ». Cela signifie que l’on réduit la tension mais que cette dernière persiste encore dans l’élastique. J’associe donc la détente à une notion de tension (au sens élasticité) réduite mais persistante. On parle d’ailleurs souvent de la détente d’un gardien lorsqu’il saute pour arrêter un ballon ou de la détente d’un basketteur lorsqu’il s’élance vers le panier pour faire un dunk…, On fait ici référence à la qualité de l’étirement qui surgit et persiste dans le mouvement et qui vient donc optimiser ce mouvement.

o   Etat de relâchement : on peut choisir de « relâcher » l’élastique : auquel cas il perd la « tension » que nous lui avions préalablement ajoutée. Dans ce cas, l’élastique revient naturellement dans son état initial que je nomme ici état « relâché » : état dans lequel l’élastique n’est en fait pas soumis à un surplus de tensions. Sa tension native lui suffit à préserver sa forme d’origine.

o   Etat de mollesse : on peut choisir de relâcher l’élastique tout en exerçant en plus une pression supplémentaire sur celui-ci pour l’écraser. A ce moment l’élastique repasse par son état « relâché » mais en plus subit une déformation : il devient « mou » signifiant pour moi, qu’au-delà d’une perte de tension élastique évidente, il se déforme, se déstructure par rapport à sa forme d’origine. Il perd sa forme intrinsèque de maintien et ne pourra être à nouveau étiré sans repasser par sa forme d’origine.

Par conséquent « relâchement » n’est en aucun cas un synonyme de “molesse”. Trop souvent en shotokai on constate en fait que les mouvements sont « mous » et non pas « relâchés », ils manquent en fait de substance élastique cohérente et homogène pour entraîner intégralement le mouvement. Un mouvement sans substance élastique est “vide”. A contrario on le caractérisera de “plein” si l’élasticité juste de tout le corps est correctement maintenue.

Pour faire le parallèle avec une marionnette articulée :

si les ficelles qui relient la marionnette à son support mobile sont « molles », la marionnette tombe et aucune expression de mouvement fluide et naturel ne peut lui être directement transmise. Il faut donc trouver la tension juste (au sens étirement et non pas contraction) pour transmettre le mouvement juste et donner ainsi vie et crédibilité aux mouvements de la marionnette.

Le corps humain, une structure élastique complexe

A présent, si la métaphore de l’élastique et de la marionnette aident déjà à y voir un peu plus clair, il faut désormais être capable de transposer ces notions sur le corps humain pour que cela soit profitable dans les arts martiaux. En fait, le corps humain est bien plus complexe qu’un simple élastique. Le corps doit être vu effectivement comme un réseau d’élastiques en interactions (principe de « tenségrité »), le tout étant pilotable par le cerveau (grâce aux intentions). Le contrôle des élastiques dépend en réalité de vos habitudes posturales et de votre état émotionnel qui conditionne votre état corporel. Ceci veut dire que l’état du corps dans lequel vous êtes, par exemple en lisant cet article, ne garantit pas que vous soyez « relâché ». Il peut persister en vous des tensions inutiles au maintien efficient de votre posture (par efficient j’entends : un minimum d’effort pour un maximum d’efficacité). Le pire c’est que vous n’avez même pas forcément conscience de vos tensions excessives à cause des habitudes bien ancrées dans votre cerveau.

Sur un plan martial, la première étape est donc de prendre conscience déjà de ces tensions inutiles (ici au sens contraction et non étirement) par des exercices adaptés. Dans un deuxième temps, il conviendra d’effacer ensuite ces tensions afin d’acquérir un réel état de relâchement corporel (sur ce point là, effacer les tensions inutiles requiert une réelle expertise et c’est l’un des buts du shotokaï que d’y parvenir). Enfin, vous devrez apprendre progressivement à acquérir la maîtrise de votre réseau élastique corporel dans son intégralité pour “connecter” votre corps et tendre vers une qualité de mouvement supérieure. Corps et esprit devront alors bien s’entendre et fonctionner en parfaite harmonie. Cela dit, ne vous méprenez pas ! Exploiter le réseau élastique de votre corps ne signifie pas s’étirer visuellement en croyant que : “plus je travaille bas et grand, plus j’active mon réseau élastique”…Cela est très piégeux de penser ainsi et c’est à mon sens ce qui a pu conduire parfois en shotokai à certains travers ou quiproquo qui mènent droit dans le mur… Il y a du bon à travailler bas mais cela n’est pas suffisant pour comprendre la subtilité de votre propre structure élastique dans son intégralité. L’étirement dont je parle est plus profond que cela, il est au cœur même de votre mouvement et repose sur le principe de l’intention (Yi) et des forces contradictoires (Yin et Yang)… en clair, le réseau élastique que j’évoque est parfaitement activable même en partant d’une posture debout telle que hachi ji dachi… Des exercices précis existent pour ressentir ce réseau élastique et réussir à l’activer. Alors il sera possible à votre corps de devenir non pas « contracté » mais « ferme », « dense », ce qui est très différent !  Ceci étant, l’activation d’un tel réseau  demande du temps mais surtout de bons conseils et au final une réelle expertise. Il s’agit d’un travail fin, complètement haut de gamme qui reflète, à mon sens, la réelle profondeur des arts martiaux. Ainsi, le senseï à un rôle capital pour vous aider à comprendre et ressentir le travail permettant de tendre vers la maîtrise du mouvement « juste », le mouvement qui intègre de manière consciente la fermeté à travers le relâchement.

Sans rentrer plus dans les détails, je vous laisse donc réfléchir à toutes ces notions d’une extrême importance pour optimiser votre travail : suis-je tendu, détendu, relâché, mou ? Comment éveiller la substance élastique en moi et surtout de manière cohérente quelque soit le mouvement ? Comment puis-je rendre au final mon shotokai plus pertinent dans son approche ? Seule une activation juste de votre structure élastique corporelle, permet de faire circuler pleinement l’énergie dans votre corps et vous ouvre les portes “secrètes” de l’art martial où corps et esprit ne font plus qu’un.

Sachez que cet article est loin d’être complet mais il donne déjà des grandes lignes et livre, je pense, une bonne base de travail pour progresser dans la voie des arts martiaux. Certes, le sujet est complexe et cela peut laisser sceptique mais le jour où ces éléments vous parlerons, vous verrez en eux comme des évidences… C’est certain.Vous vivrez alors une réelle révolution dans votre karaté ! Vous aurez alors franchi à mon sens un nouveau stade d’éveil dans votre pratique…

A bientôt pour une prochaine réflexion martiale ^^